Homo scribouillus

Je n’ai jamais été un grand lecteur.

C’est même une sévère lacune que je traîne depuis toujours. J’ai trouvé mille excuses à ça : un trouble de la concentration, une vraie dyslexie (somme toute peu prononcée), une carence bibliographique du domicile, une éducation par la télé, une tête et des paluches trop lourdes, une flemme de l’espace, un dépucelage malheureux par Balzac et, certainement, une mauvaise foi sans fond.

Je passe à ma vie à me convaincre de lire.
J’y arrive parfois mais pas longtemps.

À dire vrai, je suis même plutôt un être de l’image ; tant elle semble avoir possédé mon esprit autant que je me souvienne. Aussi parce qu’elle a toujours été beaucoup plus accessible.
Des premiers coups de crayon et brouillons photographiques, en passant par la retouche et le design graphique, c’est naturellement la vidéo – mon médium de prédilection – qui a fini par jaillir à l’aube de ma vie majeure ; mon amour pour le cinéma n’y étant pas étranger.
Et c’est ainsi que je contais à moi-même, à mes frères ou mes amis, les péripéties de personnages nés d’une imagination fertilisée par la grande et petite lucarnes, le jeu vidéo et la bande dessinée.

Quand j’y songe, l’évidence saute aux yeux.
Cette envie de raconter des histoires, de créer, de narrer des aventures épiques ou vaudevillesque est née au creux de mon enfance, ancrée dans ces délicieux moments dont ma famille avait le secret : des histoires d’antan, fascinantes, à peine croyables, aux remarquables récits du quotidien que transformaient en aventures fantasques et burlesques un talent inné pour la métaphore et l’hyperbole.
Ha ! Ce sacré tempérament méditerranéen et son usage infini de l’image.

Pour autant, les mots ne m’ont jamais effrayé. J’ai même montré très tôt une appétence pour l’écriture.
Au milieu des éclats de voix en espagnol et en Ch’ti, j’étais bien décidé, scolaire, à apprivoiser la langue et sa poésie. De dictées en contrôles d’orthographe, de grammaire, j’ai découvert une certaine aisance pour manier le verbe mais sans vraiment m’en emparer.

Mais lorsque l’aventure vous appelle, lorsque l’envie d’une narration longue s’empare de vous, les limites du croquis, des schémas, de la bande magnétique s’imposent d’elles-mêmes.
Et les mots que dessinent une écriture très graphique, se révèlent êtres les outils les mieux aiguisés pour pénétrer son imaginaire et structurer ses productions.

Écrire oui, sur n’importe quoi mais pas n’importe comment.

Pour ma part, j’ai toujours fait confiance à mon instinct. Je ne sais pas vraiment quel processus se déclenche, mais il y a en général un flow de mots qui viennent et se libérèrent avec un naturel qui me surprendra toujours.

J’ai toutefois un certain degré d’exigence à leur égard et j’ai besoin que la mélodie des mots, leur rythme, leur ajustement, me séduisent.
J’ai aussi besoin qu’il soient riches de sens, qu’il claquent, qu’ils chantent, qu’il s’étoffent de figure de style et d’images pertinentes. Il faut qu’ils soient spontanés, irréfléchis, qu’ils se donnent sans retenue, avec indécence et parfois maladresse.
Bruts, ils sont toujours plus vrais. Je les cueille comme ils se présentent et je ne les arrange pas.

Et c’est valable pour toutes les formes de textes : récit, dialogue, critique, poésie, chansons, simple description, ou biographie (!).
Loin de moi l’idée d’engager un jargon élitiste et creux, ou d’étaler un vocabulaire que je saisirais à peine : j’use souvent des mots les plus simples et c’est surtout leur articulation que je soigne lorsque je vise, par exemples, l’émotion, la subtilité ou l’ambiguïté.

Bien des vecteurs relationnels, culturels, contextuels sont venus nourrir cette envie d’user des mots avec passion.

Je dois probablement remercier au moins une prof de français et un prof d’anglais pour ça et je suis surtout certain que cette musicalité verbale provient du contexte familial, encore une fois.
Mon grand-père paternel ne savait ni lire, ni écrire, mais il parlait avec un talent et un sens de la métaphore qui me bouleversent encore.
L’homme qui m’a élevé, son fils, a lui aussi un sens de la formule, encore plus prononcé.
À mon sens, un mélange assez proche du talent d’Audiard, toutes proportions gardées.
Mes frères, eux aussi, ont naturellement héritées de cette verve cognante.

Nos oreilles ont eu de la chance.
Ma faculté à savoir m’exprimer à été bien encadrée.

Une personne que j’affectionne particulièrement et qui m’a souvent lu en secret m’a dit un jour « écris ».
Alors j’obéis, sans trop de contraintes.

Dans ma vie de faiseur d’images, l’étape de la scénarisation a par ailleurs été des plus formatrices.
Et quoique soit la finalité et le support, la création, l’histoire, s’ébauchent toujours en mots.
Ils sont devenus indispensables.

Je n’ai jamais été un grand lecteur.
Mais qu’est ce que j’écris !