Clémentines

Savez-vous comment se déclenche la sollicitation d’un souvenir ?

On appelle ça le processus de récupération, qui fait suite aux trois autres que sont l’encodage, le stockage et la consolidation.
C’est l’hippocampe (non, pas le poisson… Le truc dans votre tête !) et le cortex préfrontal qui organisent cette tambouille dans le cerveau.

La récupération se distingue sous deux formes : le rappel libre (volontaire) et la reconnaissance (non-volontaire). C’est cette dernière qui m’intéresse.

Lorsqu’un stimulus (une odeur, un son, une image, un mot ou peut-être tous à la fois !) nous impacte de façon particulière, notre mémoire s’enclenche et ramène en surface de façon douce ou violente le souvenir d’un événement en rapport avec la perception du stimulus.

C’est le cas des clémentines.
Ou plutôt de ce qu’elles font à mes sens.
J’y ai droit à chaque fois, que débute la saison.
Car il n’y a pas fruit plus sensuel* à mes yeux.

J’aime les clémentines depuis toujours.
Celles qui ont du corps, les charnues, les bonnes qu’on reconnait au toucher.
J’aime leur senteur, j’aime ôter leur peau et voir les filaments du fruit se défaire.
Et j’aime par dessus tout ce moment qui précède la séparation des quartiers et la dégustation de la pulpe pour la perspective du voyage intérieur qui m’est offert : le début de l’hiver, Noël, le froid, le partage, leur acidité sur mes lèvres gercées, ce goût étrange qu’elles donnent après le dentifrice et qui m’accompagnait sur le chemin de l’école.
Je ne vois que des vertus à ce fruit qui fait du bien au corps et à l’âme.

Il paraît qu’à chaque fois qu’on invoque un souvenir, on le détériore.
Il est téléscopé par d’autres informations que délivrent notre mémoire, au même moment.
Le procédé est subtile et indétectable.
Finalement, quand on pioche un souvenir, donc, on le transforme, on l’agrémente, on l’arrange même et il ne ressemble plus à ce que l’on a vraiment vécu ou perçu.
C’en est presque cruel et beau à la fois.
Si ça se trouve, le dentifrice était meilleur.

(*) Bon, y’a quand même battle avec la pastèque.